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Malgré les conditions de travail difficiles des personnels soignants, les écoles d’infirmiers attirent de plus en plus de candidats. Reportage à l’IFSI Avicenne-Jean Verdier, à Bobigny.
Devenir plombier ou rénovateur d’intérieur. C’est ce qui avait été suggéré à Rayan par la conseillère d’orientation du collège. Pas vraiment sa vocation. « Mais on me disait que je n’avais pas les capacités pour faire autre chose », raconte-t-il. Son « autre chose », à Rayan, c’était de devenir infirmier. Sa tante, sage-femme, lui a fait découvrir ce métier quand il avait 8 ans et, depuis, c’est l’objectif qu’il vise, contre vents et conseils mal orientés. Aujourd’hui, Rayan a 20 ans, et il entame sa troisième et dernière année d’études à l’Ifsi (Institut de formation en soins infirmiers) de l’hôpital Avicenne – Jean-Verdier, à Bobigny (Seine-Saint-Denis). « Après ce rendez-vous avec la conseillère d’orientation, je me suis pris en main, j’ai fait beaucoup d’efforts et j’ai réussi à passer en seconde générale. Je suis entré en filière techno STSS, et j’ai eu mon bac avec mention Très bien. J’ai été accepté à l’hôpital Avicenne, où j’ai fait ma rentrée en pleine crise du Covid. Mon premier patient, ça a été mon premier décès. J’étais tout juste sorti du lycée. Ça n’a pas été facile. J’ai caché mon désarroi. J’ai aussi développé une version sévère du Covid, qui m’a fait douter de mon choix de carrière. Mais j’ai repensé au garçon de 8 ans que j’étais, et c’est lui qui m’a convaincu que ma place était là. »
Vocation sincère ou choix pragmatique d’une formation concrète aux débouchés certains, le métier d’infirmier exerce, depuis quelques années, un pouvoir d’attraction insoupçonné. Cette année, le nombre de vœux portés sur la formation du diplôme d’État d’infirmier dans Parcoursup, le portail d’accès à l’enseignement supérieur, s’est élevé à 688 985, plaçant la filière en tête des souhaits des jeunes bacheliers et des candidats à la reconversion professionnelle. Une popularité qui met au jour un curieux paradoxe : malgré des conditions de travail difficiles, un faible niveau de salaire (1 800 euros brut en début de carrière depuis janvier dernier) et une déconsidération générale, le métier est fortement plébiscité par les jeunes. « Il y a une demande du ministère de la Santé de former plus d’infirmiers, car on en manque, explique quant à elle Laurence Melique, directrice de l’Ifsi Avicenne-Jean-Verdier. La motivation reposait auparavant sur un projet professionnel plus construit. Les conditions d’exercice étaient assez favorables. Au fur et à mesure des crises, la perception du métier s’est modifiée. Le public en formation a changé. Avant Parcoursup, les candidats étaient sélectionnés par les écoles à l’issue d’un concours. Aujourd’hui, ce sont les étudiants qui nous choisissent. »                
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Jedjiga, 34 ans, était aide-soignante après des études scientifiques en Algérie : « J’ai travaillé pas mal en réa, j’ai adoré ça. Mais plus je travaillais, plus je me rendais compte que mon niveau de formation m’empêchait de répondre aux questions des patients. Ça a généré de la frustration, alors je me suis résolue à passer le concours. » Cette jeune mère de trois enfants est aujourd’hui en troisième année et sait déjà où elle souhaite exercer à l’issue de son diplôme : « En réanimation, bien sûr. C’est un travail d’équipe hyper stimulant, ça oblige à être sans cesse sur le qui-vive, c’est ce qui me plaît. » Mélanie a 20 ans et vient d’entrer en première année. « J’ai passé le “bac Covid”, sans épreuves, le premier échec de ma vie. J’avais de bonnes notes, je voulais entrer en médecine, mais j’ai raté mon premier semestre avec le confinement et les cours à distance. J’ai abandonné, puis j’ai trouvé un job d’étudiante et je me suis réinscrite sur Parcoursup en filière Ifsi. J’ai obtenu plusieurs écoles, notamment à Paris, mais j’ai choisi celle-là parce qu’on m’en a dit le plus grand bien et que ce n’est pas loin de chez moi », raconte cette fille d’un agent immobilier et d’une secrétaire médicale. Ses quelques mois de médecine lui ont donné un peu d’avance sur les apprentissages. « J’ai de bonnes bases en physiologie, en anatomie cellulaire, ça me permet d’aider les copains. » Et où se voit-elle exercer plus tard ? « J’aimerais faire de l’humanitaire, ou intégrer l’armée. Et puis la médecine, ça reste dans un petit coin de ma tête, je n’ai pas fermé la porte à mon rêve. »
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©Michaël Zumstein/ Agence Vu
C’est peut-être cela qui a changé depuis quelques années. Le métier d’infirmier n’est plus un but en soi. « C’est devenu une passerelle qui mène vers d’autres métiers, explique Laurence Melique. La durée d’exercice de la profession s’est raccourcie [elle est en moyenne de six ans, ndlr]. Cette génération fera plusieurs métiers. On n’a plus ces profils d’infirmiers qui prennent un poste et y restent dans la durée, comme je l’ai connu dans mon parcours professionnel. Certains souhaitent poursuivre en master ou en doctorat. D’autres ne se fixent pas sur un poste tout de suite, ils font de l’intérim, ils prennent le temps de trouver le poste qui leur conviendra. Le rapport au travail a changé, la notion d’engagement aussi. C’est une génération qui veut être libre. Les jeunes veulent travailler sur un cycle de douze heures, afin d’avoir plus de disponibilité pour l’équilibre vie privée et vie professionnelle. »            
Rachid a déjà eu plusieurs vies. Diplômé en management, ce père de famille de 34 ans était superviseur de vols à Roissy quand le confinement l’a cloué à la maison, en chômage partiel. « Ma femme est infirmière, mon beau-frère, cadre infirmier, mon petit frère, kiné… Je me suis dit : “Pourquoi pas moi ?” Quand j’ai annoncé ça à mes proches, beaucoup m’ont demandé : “Mais qu’est-ce que tu fais ? Devenir infirmier ? À ton âge ? Dans un secteur si mal payé ?” Mais je sais que j’ai fait le bon choix. Je pourrai travailler toute ma vie. Exercer à l’hôpital, en libéral, devenir cadre, formateur, passer un master, devenir infirmier en pratique avancé (IPA), infirmier anesthésiste… »
La crise du Covid, malgré l’état d’épuisement des personnels soignants, est donc loin d’avoir éloigné les candidats. « Cela étant, je ne me fais pas d’illusions, les applaudissements, ce n’est plus à l’ordre du jour », dit en souriant Bilal, 31 ans. Cet étudiant de première année, ancien sapeur-pompier volontaire du côté d’Alès et titulaire d’un BTS de comptabilité, a « toujours baigné dans le soin ». « Ma maman était infirmière, et mon papa, chef comptable dans l’associatif en addictologie, raconte-t-il.             
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©Michaël Zumstein/ Agence Vu
J’ai travaillé dans une résidence pour personnes âgées de la Croix-Rouge canadienne pendant deux ans. Pour moi, ces études sont la continuation de tout ça. La formation est concrète, on entre tout de suite dans le vif du sujet. Alors, oui, je sais que, à l’issue du diplôme, le salaire ne sera pas mirobolant, mais l’argent ne fait pas tout. Moi, je place l’humain au-dessus des chiffres. » Tout comme sa camarade Elvina, 32 ans, venue de La Réunion pour faire ses études après avoir exercé pendant plusieurs années en tant qu’aide-soignante : « Pourquoi on a envie de devenir infirmière ? Parce qu’on veut aider les gens et que c’est un métier qui a du sens. Tout simplement. » Moteur intangible de la vocation, l’empathie et le dévouement aux autres sont mis en avant par une bonne partie des étudiants. « La nouvelle génération a besoin de sens, estime Catherine, la formatrice des troisième année. On prétend qu’elle est très recentrée sur elle-même, mais j’entends beaucoup d’élèves dire qu’ils ont besoin d’aider. » « Et de se réparer eux-mêmes, il faut bien l’avouer », glisse Isabelle, formatrice des première année. « Moi, je suis là pour le patient, explique Rachid. J’ai choisi d’être là, contrairement à lui. J’ai déjà croisé beaucoup de professionnels fatigués, qui ne trouvent plus vraiment de sens à ce qu’ils font, qui voient tout en négatif. Je ne suis pas du tout dans cette conception des choses. Oui, on manque de personnel, mais on n’est pas que des exécutants. On doit s’adapter, c’est nous qui entrons dans la vie du patient, ce n’est pas à lui de s’adapter à nos contraintes, aussi pénibles soient-elles, parce que ça peut être d’une grande violence. »
À la tête d’un établissement comptant presque 600 élèves, Laurence Melique remarque : « Le Covid a remis les soignants au cœur de l’actualité, suscitant une vague d’intérêt. Mais le choc avec la réalité a été dur pour une partie d’entre eux. D’autant plus que, pour certains, le niveau n’est pas toujours au rendez-vous ou que le choix a été fait par défaut. Avoir envie et avoir les capacités sont deux choses distinctes. La formation est exigeante et n’est pas accessible à tout le monde. Le profil des étudiants a changé et les cohortes sont très disparates. »   
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©Michaël Zumstein/ Agence Vu
À Bobigny, 83,67 % des étudiants sortent titulaires du diplôme d’État. Et malgré toute l’énergie et la bonne volonté de ces jeunes professionnels, l’hôpital en général souffre encore d’une pénurie sévère de personnel infirmier. En 2021, douze départements français ont dû faire fonctionner leurs établissements avec moins de 50 infirmiers salariés hospitaliers pour 10 000 habitants. À l’AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris), ce sont environ 1400 postes qui restent vacants. Rayan et ses camarades auront donc l’embarras du choix.
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