Justice La tentaculaire « Affaire Tatoo » à la barre du tribunal de Marseille
PROCES Une trentaine de membres présumés d’un vaste trafic international de cocaïne entre la Colombie, la France et l’Italie comparaissent devant le tribunal correctionnel de Marseille pendant un mois
Ils ne seront pas moins de 28 à être appelés à la barre ce mercredi, pour ce qui est l’un des procès les plus attendus de l’année. Pendant plus d’un mois, le tribunal correctionnel de Marseille va tenter de décortiquer le fonctionnement bien huilé de ce qui était, au moment de son démantèlement, l’un des plus vastes trafics de cocaïne qui sévissait entre la France, la Colombie et l’Italie. Un dossier rendu célèbre par une particularité : le moyen de communication utilisé par les trafiquants, qui, à l’heure des smartphones et des réseaux sociaux, avait recours… au service de messagerie Tatoo, en vogue à la fin du siècle dernier. 20 Minutes revient sur cette affaire et les enjeux de ce procès qui s’ouvre.

En mai 2014, au terme de deux ans d’enquête, les autorités annoncent avoir démantelé un tentaculaire trafic international de cocaïne colombienne qui alimentait de multiples réseaux en France et en Italie. Les enquêteurs ont mis la main sur l’ensemble des maillons de cette chaîne illégale, du narcotrafiquant colombien aux petites « mules » des Alpes-Maritimes. Près de 88 kg de cocaïne sont saisies, et 150 au total auraient été importés par ce réseau, selon les estimations des forces de l’ordre.
« L’organisation mise à jour était considérée comme l’une des plus importantes équipes sévissant à Paris et en région parisienne, impliquée dans l’importation et la distribution de stupéfiants à destination notamment de diverses cités de la banlieue parisienne, peut-on lire dans l’ordonnance de renvoi. Les investigations allaient démontrer son envergure nationale et internationale. » Dans ce vaste réseau pour lequel 28 personnes comparaissent à partir de ce mercredi devant le tribunal correctionnel de Marseille, chacun avait son rôle, de la tête de proue à la petite main en passant par le négociateur et le commercial. Dans l’ordonnance de renvoi, les magistrats notent ainsi l’existence d’« un réseau d’importation particulièrement structuré », avec « plusieurs points de départ » répartis entre Caracas, le République dominicaine et le Pérou. Le trafic s’appuyait notamment sur un individu installé à Cannes et qui allait souvent en Amérique Latine faire le lien avec les narcotrafiquants, négocier les prix et organiser les départs des valises.

En effet, le réseau s’appuyait sur « des équipes de bagagistes » complices dans plusieurs aéroports, et qui agissaient toujours selon le même mode opératoire. En Amérique Latine, sur des vols réguliers à destination de Paris et en provenance essentiellement de Lima, Caracas et Punta Cana, ces bagagistes remplaçaient une ou deux valises de passagers par des valises de 20 à 36 kg remplies de cocaïne. Une fois l’avion à l’aéroport de Roissy, la véritable valise du passager était déclarée perdue, tandis que la marchandise était réceptionnée par d’autres bagagistes français, complices, avant les douanes. Après récupération de la cocaïne auprès de ces bagagistes, les trafiquants pouvaient compter sur un important « réseau de distribution ». Une filière de revendeurs inondait la région parisienne, une autre la région marseillaise, deux étaient actives dans les Alpes-Maritimes, et une dernière opérait en Italie.
Pour écouler la marchandise, le réseau employait par ailleurs « de nombreux hommes de main qui étaient amenés à réaliser des transports de cocaïne et/ou d’argent. » Les revendeurs du sud de la France envoyaient en effet des transporteurs chercher la drogue à Paris, mais les Italiens venaient s’approvisionner directement à la capitale.
En bout de chaîne se trouvaient « des structures gérant l’argent du trafic ». Ces structures étaient « chargées d’envoyer l’argent en Espagne ou en Amérique du Sud par voie de mandats afin de rémunérer les intermédiaires ou de faire l’avance sur des importations à venir ». Elles pouvaient aussi servir à « dissimuler les flux générés par la revente des stupéfiants ».
Une telle organisation demande un échange important et discret d’informations. Et en la matière, les membres de ce réseau ont pour le moins fait preuve d’inventivité. En effet, à l’heure des portables, ces trafiquants préféraient communiquer entre eux… par Tatoo. Cet ancêtre du smartphone permettant d’envoyer de courts messages était très en vogue dans les années 1990, avant de tomber en désuétude. Mais les trafiquants, eux, n’avaient ne semble-t-il pas oublié cet objet d’un autre siècle et y voyaient un moyen de déjouer la surveillance des policiers.
« Les membres se montraient particulièrement méfiants et organisés dans leurs conversations, peut-on lire dans l’ordonnance de renvoi. L’identification d’un réseau de lignes Tatoo a permis de comprendre que ces boîtiers servaient de base fixe à leurs contacts et à palier aux changements réguliers de lignes portables, de fournir les numéros de cabines téléphoniques servant à leurs conversations occultes. » Les trafiquants avaient recours à un langage codé pour désigner leurs activités. Ainsi, les valises étaient dénommées dans les messages « tables ». Si elles étaient entourées de plastique, les trafiquants prenaient soin de préciser qu’il y avait « un imperméable ».
A la tête de ce réseau organisé se trouvent trois frères, les Seraf, installés dans le Val-de-Marne, et qui menaient la grande vie. Kamel, le benjamin de la fratrie, âgé aujourd’hui de 49 ans, habitait au moment des faits une villa de 300 m² avec piscine à Yerres, dans l’Essonne, en couple avec la fille d’une figure de la banlieue sud parisienne. Lors de la perquisition de leur domicile, les enquêteurs de la brigade des stupéfiants et de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Nice ont mis la main sur 36.000 € en argent liquide et deux armes de poing. L’aîné, Abdenasser, âgé aujourd’hui de 53 ans, avait effectué avec sa compagne « plusieurs voyages », et résidait « dans des hôtels de luxe comme le Majestic ». Il était par ailleurs propriétaires de plusieurs montres de luxe. Selon l’ordonnance de renvoi, le troisième, Abdelkrim, avait également fait avec sa femme, qui occupait un emploi fictif, plusieurs voyages à New York, Deauville ou encore en Egypte. Des voyages facturés au nom de leur fille de 8 ans, « confirmant leur volonté de dissimuler leur train de vie ».
« Kamel Seraf était totalement associé avec ses deux frères dans la gestion des négociations, des relations avec les membres de l’équipe, se révélant totalement interchangeables, indique l’ordonnance de renvoi. Certaines des lignes écoutées étaient utilisées de manière indifférente par les trois frères, ce qui devait permettre d’assurer un suivi des envois programmés de cocaïne, assurer la mise en mouvement des équipes de bagagistes, assurer les livraisons de stupéfiants auprès de leurs clients. » Accusés tous trois de blanchiments, de trafic de stupéfiants et d’association de malfaiteurs, ils encourent dix ans de prison.
A leurs côtés, plusieurs personnes sont déjà connues des services de police pour des faits similaires, à l’image « des grossistes dont la notoriété judiciaire n’était plus à faire », comme l’indique l’ordonnance de renvoi. L’un d’entre eux appartenait en effet au « gang des Alpes », bande impliquée en particulier dans des dossiers d’extorsions, et a déjà été condamné dans une affaire de trafic de stupéfiants. « Mon client a compris et n’a pas bougé d’une oreille depuis 2013, souligne Me Joseph Cohen-Sabban, qui défend un des hommes de main supposés dans ce réseau. Il n’a pas une garde à vue. Rien. » « Mon client a un tout petit casier et ils nient les faits, lance Me Thierry Ospital. Nous sommes très sereins et je vais plaider la relaxe. » « Il y a dans ce procès un mélange des genres, conclut Me Chehid Selmi. Il y a d’un côté des gens comme mon client, chef d’entreprise parfaitement intégré, qui se retrouve aux côtés d’autres dans ce dossier d’envergure. » Le procès est prévu pour durer jusqu’au 7 décembre.
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