Un homme âgé se hâte rue Dulong, artère filiforme du XVIIe arrondissement de Paris. Est-ce la chaleur accablante qui lui fait presser le pas ? Voilà sa silhouette nerveuse qui pousse la porte du 56 et qui s’engouffre dans l’immeuble. Il est 15h33, ce lundi 20 mai 1974. Quinze minutes plus tard, il gît, raide mort, dans un appartement du 4e étage. Ni le bouche-à-bouche, ni les massages cardiaques des premiers secours n’ont pu le ramener à la vie. Il est tout dépenaillé, peut-être à cause des soins qui lui ont été prodigués en vain. À moins que… le scandale Daniélou peut commencer.
Quelques heures plus tard, la radio publique annonce la nouvelle : « Le cardinal se trouvait chez des amis, dans le XVIIe arrondissement, quand il a été pris d’un malaise ». Le prélat disparu à 69 ans, est tout sauf un quidam, mais un théologien nommé cardinal par Paul VI cinq plus tôt. Ses yeux pétillants, qui percent sous d’énormes lunettes, sont aussi familiers aux Français que son large sourire ou sa diction un brin théâtrale. Le vibrionnant intellectuel, dont les écrits l’ont fait élire en 1972 à l’Académie française, est comme chez lui à la télévision. Les formules du polémiste y font mouche, avec ce qu’il faut d’humour : lorsqu’on lui demande la première chose qu’il a faite en apprenant sa nomination comme cardinal, Mgr Jean Daniélou avait répondu : « je suis allé chez Monoprix m’acheter des pantoufles rouges ». On parle même de lui comme futur pape !
Bref, c’est une star médiatique en soutane qui vient de rendre l’âme. Le choc et rude dans l’opinion, même si sa disparition est éclipsée par l’élection, la veille au soir, de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République. Le 26 mai, le célèbre prélat est inhumé en grande pompe à Notre-Dame. Dans son homélie, un prêtre, Xavier Tilliette, lui rend hommage : « c’est dans l’épectase de l’apôtre qu’il est allé à la rencontre du Dieu vivant ». Que diable a-t-il voulu dire en exhumant ce mot obscur qui signifie (en grec) la tension de l’âme vers la sainteté ?
Le terme renvoie certes aux travaux de Daniélou sur le Platonisme et la « théologie mystique », mais il va rapidement acquérir une notoriété plus licencieuse : car il sonne comme… extase ! Le mercredi 29 mai, le Canard enchaîné le prend au vol dans un article révélant que Mgr Daniélou n’est pas mort chez des amis ou dans la rue, mais « dans l’appartement d’une dame S., gente blonde de 24 ans, travaillant la nuit dans un cabaret ».
Dans la foulée, la presse satirique se gausse, d’autant que l’ecclésiastique affiche des positions conservatrices. Et le voilà renvoyé à de très petites vertus cardinales. L’Église, frappée de stupeur, tente de faire bloc pour défendre sa réputation avant que n’en sonne le glas. Certains dénoncent une malveillance des « dominicains de gauche », d’autres un coup monté des anticléricaux. L’épiscopat prétend même qu’en bon jésuite soucieux des déshérités, il était allé confesser la pécheresse.
Mais alors, que faisait-il avec trois mille francs dans les poches ? Là encore, la parade de l’Église est laborieuse : l’argent du bon samaritain devait aider Gilberte S. (qui travaillait sous le nom de Mimi, ou Gaby, dans un bar louche de la rue de Douai) à payer un avocat pour son mari corse, en prison. Or comme le relate un savoureux livre d’enquêtes (*), le cardinal, qui lui assurait être libraire, fréquentait « Mimi » régulièrement. Parfois avec une « copine » habituée aux trottoirs de l’avenue Carnot, écrit le journaliste Jean-Marie Pontaut. D’autres sources policières affirment même in petto – sur la foi d’indicatrices l’ayant eu comme client – qu’il avait la soutane légère. Jusqu’à ce lundi caniculaire où sa quête de 7e ciel s’est brutalement arrêtée au 4e étage.
Après avoir fleuri pendant des mois, le scandale se fanera doucement, faute d’enquête… Le Vatican et l’Elysée se seraient-ils entendus pour en rester là, comme cela a été avancé ? Là encore, mystère. Mgr Daniélou est parti avec ses secrets, lui qui écrivait, cinq ans avant sa mort que « la sexualité est un don de dieu » : « Je comprends personnellement, que certains prêtres soient sensibles à la beauté, au charme d’une femme. […] On attend trop du prêtre, et il n’est qu’un homme ».
(*) «Sous les jupes de la Ve », de Jean-Marie Pontaut (Ed. Tallandier, 2017)
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